1929 Chantage "Blackmail"
4 types différents pour la même affiche 1930

Fiche technique
- Titre : Chantage
- Titre original : Blackmail
- Réalisation : Alfred Hitchcock
- Scénario : Alfred Hitchcock et Michael Powell (non crédité), adapté de la pièce de Charles Bennett, Blackmail
- Dialogues : Benn Levy
- Production : John Maxwell
- Musique : Jimmy Campbell, Reg Connelly et Hubert Bath (non crédité)
- Photographie : Jack E. Cox
- Direction artistique : C. Wilfred Arnold et Norman G. Arnold (non crédité)
- Montage : Emile de Ruelle
- Société de production : British International Pictures
- Sociétés de distribution : Wardour Films ( Royaume-Uni), Sono Art-World Wide Pictures ( États-Unis)
- Pays d'origine : Royaume-Uni
- Langue : anglais
- Format : Noir et Blanc - 1,20 : 1 - 35 mm - Mono (R.C.A. Photophone System)
- Genre : Thriller
- Durée : 84 minutes
- Date de sortie :
- 30 juin 1929 Royaume-Uni
- 6 octobre 1929 États-Unis

Distribution :
- Anny Ondra : Alice White
- Sara Allgood : Mrs. White
- Charles Paton : Mr. White
- John Longden : l'inspecteur Frank Weber
- Donald Calthrop : Tracy
- Cyril Ritchard : Mr. Crewe, l'artiste-peintre
- Hannah Jones : Mrs. Humphries, la logeuse
- Harvey Braban : l'inspecteur-chef (version sonore)
- Ex-Detective Sergeant Bishop : le sergent-inspecteur


Le contexte :
Le 7 juillet 1928, Hitchcock connaît l'une de ses plus grandes joies : sa femme, Alma, lui donne une fille, Patricia.
En juillet et août de cette même année, peu maître de ses choix, il doit sans grand plaisir se résoudre à tourner The Manxman, un mélo dont le résultat n'enchantera guère son producteur John Maxwell, au point que celui-ci en reporta la sortie jusqu'à l'année suivante, en 1929. Le film, cependant, obtient alors un certain succès.
Hitchcock restait toutefois sur une note amère ; il voulait absolument rebondir avec son film suivant. C'est ce qu'il fit en tournant son dernier film muet, qui fut aussi le premier film parlant de l'histoire du cinéma anglais.
AFFICHES ANGLAISE ORIGINALES 1929

Le scénario :
« L'idée était de montrer le conflit entre l'amour et le devoir.[Qui ?] »
John Maxwell, qui surveillait les théâtres londoniens, repéra une pièce intitulée Blackmail signée Charles Bennett et qui remportait un grand succès dans le West End. Il en acquit les droits et la confia au réalisateur. Le côté policier de l'intrigue n'était pas pour déplaire à Hitchcock : Les Cheveux d'or (The Lodger), sa première incursion dans le genre, avait obtenu un franc succès tant critique que public.
Hitchcock s'enferma donc dans la maison qu'il venait d'acquérir à Shamley Green, à une cinquantaine de kilomètres de Londres, en compagnie de l'auteur de la pièce, afin de mettre au point le scénario. Cela n'allait pas être la dernière collaboration entre les deux hommes, car Bennett, doué d'un sens exceptionnel de la dramaturgie, allait par la suite travailler également à l'écriture de plusieurs autres films de Hitchcock, depuis L'Homme qui en savait trop jusqu'à Correspondant 17.
Le scénario fut achevé au bout de quelques jours et, dès novembre 1928, tout était prêt pour le tournage. Après avoir lu le script, Maxwell était enthousiaste, mais demanda néanmoins que soit modifiée la fin, qu'il trouvait trop noire. Ainsi, dans le scénario d'origine, après la course-poursuite avec le maître chanteur, Alice était arrêtée et le jeune homme était contraint de répéter la première scène dans les moindres gestes : menottes, identité judiciaire... Ensuite, il retrouvait son collègue plus âgé dans les lavabos et, ignorant de l'histoire, demandait : « Vous sortez avec votre amie, ce soir ? » Ce à quoi l'autre répondait : « Non, non, je rentre à la maison », et c'est ainsi que le film devait se terminer.

Texte du bout d'essai
Il s'avéra, et Anny Ondra en convint, qu'elle ne pouvait pas tenir le rôle. Retourner ses scènes revenait à retourner tout le film. Hitchcock contourna le problème en plaçant l'actrice Joan Barry - qui allait être la vedette d'À l'est de Shanghaï deux ans plus tard - dans la cabine son. Barry récitait le dialogue qu'Ondra se contentait de mimer devant la caméra. C'est la post-synchronisation que Hitchcock inventait là !
TEXTE du 1er bout d'essais du 1er film parlant Anglais (vidéo et photo dessous)
H. : « À présent, miss Ondra, nous allons tester votre voix. C'est ce que vous vouliez n'est-ce pas ? Venez par ici, voulez-vous.
A.O. : Je ne sais pas quoi vous dire. J'ai un trac fou.
H. : Vous vous êtes bien conduite ces jours-ci ?
A.O. : Oh non !
H. : Non ? vous avez couché avec des hommes ?
A.O. : Non !
H. : Non ?
A.O. : Oh, Hitch, vous me gênez beaucoup.
H. : Venez près de moi, miss Ondra, et surtout ne bougez plus, sinon ça s'emmenchera de travers comme disait la fille du soldat. »
... à cet instant, Anny Ondra part d'un immense fou rire et Hitchcock ordonne de couper.


L'utilisation du son dans Chantage ;
Hitchcock ne voyait pas le son comme un gadget supplémentaire, mais comme une façon de renforcer le suspense. John Longden en témoigne : « Alfred Hitchcock discernait les possibilités du son et il les a expérimentées d'emblée avec des effets qui étaient très en avance sur leur temps. On pourrait dire qu'il a créé le prototype du film parlant dramatique. Je me souviens d'une scène où, jouant mon rôle de policier, je devais arpenter une pièce d'un air faussement nonchalant tout en y cherchant des indices. Soucieux de préserver la tension, Hitch ne voulait pas d'accompagnement musical pour cette séquence, mais il eut l'idée de me faire siffloter un air. À cette époque, The Singing Fool (le fou chantant) remportait un énorme succès et les chansons d'Al Jolson étaient sur toutes les lèvres. Hitch m'a donc fait siffloter l'air de Sonny Boy. À mon sens, rien n'est plus typiquement hitchcockien que les pieds de nez de ce genre. »
Dans Blackmail, le son construit le film autant que l'image. Ainsi, dans la scène de l'atelier, quand le peintre se met à chantonner au piano une chanson grivoise, Hitchcock cherche à renforcer le suspense en préparant la scène qui suit : la tentative de viol et le meurtre qui en découle. Le refrain chanté par le peintre se veut prémonitoire : « Aujourd'hui vous êtes amoureux de deux yeux gris qui président une journée affreuse... »


Réception critique :
À la sortie du film dès sa version muette, la presse est enchantée par l'opposition entre le devoir et l'amour et, plus précisément, « l'amour opposé au devoir ». On retrouve l'opposition hitchcockienne entre la société et l'individu : la société oblige Franck à dénoncer sa fiancée, son amour l'en empêche. Et le public suivit. Dès sa sortie en juin 1929, Chantage connaît un véritable triomphe. Pourtant, les spectateurs britanniques avaient manifesté les plus extrêmes réserves face au parlant, se plaisant à se moquer de l'accent yankee des comédiens américains.
À partir de ce moment, Hitchcock est considéré comme le plus grand réalisateur britannique. La publicité faite autour de ce film lui permet même de s'offrir le luxe d'engager un attaché de presse personnel. Avec lui, il peut atteindre l'objectif qu'il s'était fixé, à savoir être libre et indépendant dans son action, en fondant une société à responsabilité limitée : la Hitchcock Baker Ltd. Encore une fois, il innovait en devenant le premier cinéaste à se le permettre en Europe à l'instar de Charlie Chaplin aux États-Unis. On dit, d'ailleurs, que Chaplin aurait pensé à une séquence de Chantage lorsque dans Les Temps modernes, son personnage de Charlot profite de son arrestation pour commander un cigare payé par la police.